Exercices de style, pastiches et mélanges : le dialogue initiatique
II - ECRIRE : un dialogue initiatique de roman
« Le style, c'est l'homme même », Buffon
LE ROMAN DE FORMATION - Le père Goriot de Balzac
Le dialogue de Rastignac et de Madame de Beauséant : "-- Eh bien ! monsieur de Rastignac, traitez ce monde comme il mérite de l'être. [...] Nous autres femmes, nous avons aussi nos batailles à livrer."
Sujet d'invention : le dialogue initiatique
Quelle(s) réussite(s) pour demain ?
A la manière de Balzac, imaginez les conseils que vous donneriez aujourd'hui à un jeune homme ou une jeune fille avide de réussir.
Rastignac héros ou personnage ?
Quis ?
"Eugène de Rastignac avait un visage tout méridional, le teint blanc, des cheveux noirs, des yeux bleus. Sa tournure, ses manières, sa pose habituelle dénotaient le fils d'une famille noble, où l'éducation première n'avait comporté que des traditions de bon goût. S'il était ménager de ses habits, si les jours ordinaires il achevait d'user les vêtements de l'an passé, néanmoins il pouvait sortir quelquefois mis comme l'est un jeune homme élégant. Ordinairement il portait une vieille redingote, un mauvais gilet, la méchante cravate noire, flétrie, mal nouée de l'Etudiant, un pantalon à l'avenant et des bottes ressemelées."
Cur ? Quibus auxiliis ? Quomodo ?
LES VALEURS DU PERSONNAGE ? / DU ROMANCIER ?
"-- Que faut-il que je fasse ? dit avidement Rastignac en interrompant Vautrin.
Le schéma actantiel : le personnage est non seulement indissociable du milieu où il vit, mais il ne peut se concevoir sans une dynamique qui le fait entrer en relation avec les autres protagonistes (à l'intérieur du récit, un personnage de roman se définit par ce qu'il fait, de la même façon qu'un personnage de théâtre s'inscrit dans l'action dramatique). Force agissante ou élément passif, mû par ses désirs et des ambitions, capable d'actions ou enlisé dans l'inertie, il se situe nécessairement dans un schéma actantiel de la narration : dans Le Père Goriot de Balzac, le sujet qui accomplit l'action est Rastignac, l'objet de sa quête : la réussite sociale, le destinataire : son ambition, l'adjuvant : Madame de Beauséant, l'opposant : la pauvreté ("le cadre de bronze" de la pension Vauquer).
Le roman de formation (ou d'apprentissage) : un parcours initiatique.
Comme dans le roman médiéval, le héros du roman de formation passe très rapidement du connu à l'inconnu, ce qui le déstabilise et l'invite à s'interroger ( (sujets n° 15, 17, 18, 21, 23).
* le chevalier du roman médiéval quitte le château, lieu de la familiarité, pour pénétrer dans la forêt qui représente l'univers de "la merveille".
Dans le roman balzacien, Rastignac quitte aussi la protection du château familial. Il se transforme au cours du récit à rebondissements. Mais, l'orientation de sa quête se situe aux antipodes de la quête courtoise : l'errance, l'abandon à l'aventure telle qu'elle advient ne finit pas par modifier en profondeur sa relation aux autres personnages, son rapport au monde, bien au contraire. Le personnage, perd très vite ses illusions et son innocence, pour ne plus penser qu'à sa réussite sociale. Ce n'est pas pour défendre et protéger "sa dame", mériter son amour, qu'il entre dans la "jungle sociale" de "La Comédie humaine". Sa seule ambition est de conquérir la capitale (l'argent et le pouvoir) et il se servira de Madame de Nucingen comme d'une "enseigne", suivant les conseils de Madame de Beauséant, son initiatrice :
"Rastignac, resté seul, fit quelques pas vers le haut du cimetière et vit Paris tortueusement couché le long des deux rives de la Seine, où commençaient à briller les lumières. Ses yeux s'attachèrent presque avidement entre la colonne de la place Vendôme et le dôme des Invalides, là où vivait ce beau monde dans lequel il avait voulu pénétrer. Il lança sur cette ruche bourdonnant un regard qui semblait par avance en pomper le miel, et dit ces mots grandioses : -- A nous deux maintenant !
Et pour premier acte du défi qu'il portait à la Société, Rastignac alla dîner chez madame de Nucingen."
Trois exercices d'entraînement pour le dialogue initiatique " à la manière de Balzac"
Balzac en 1842 sur un daguerréotype de Louis-Auguste Bisson
INVENTION 1 (exercice d'entraînement) : le point de vue interne
"Que faut-il que je fasse ?"
Le personnage d'un roman de formation s'interroge sur son avenir : quelle réussite pour demain ?
"-- Que faut-il que je fasse ? dit avidement Rastignac en interrompant Vautrin.
-- Presque rien, répondit cet homme en laissant échapper un mouvement de joie semblable à la sourde expression d'un pêcheur qui sent un poisson au bout de sa ligne. Ecoutez-moi bien !" »
"-- Elle n'a pas un sou, reprit Eugène étonné."
Imaginez une suite différente à ce texte à partir d'une autre réponse du personnage.
"-- Mais où trouver une fille ? dit Eugène.
-- Elle est à vous, devant vous !
-- Mademoiselle Victorine ?
-- Juste !
-- Elle vous aime déjà, votre petite baronne de Rastignac !
-- Elle n'a pas un sou, reprit Eugène étonné."
Document : Proust, Contre Sainte-Beuve :
"La vulgarité de ses sentiments est si grande que la vie n'a pu l'élever. Ce n'est pas seulement à l'âge où débute Rastignac qu'il a donné pour but à la vie la satisfaction des plus basses ambitions, ou, du moins, à de plus nobles buts a si bien mêlé celui-là, qu'il est presque impossible de les séparer. Un an avant sa mort, sur le point de toucher à la réalisation du grand amour de toute sa vie, à son mariage avec Mme Hanska qu'il aime depuis seize ans, il en parle à sa sœur en ces termes : "Va, Laure, c'est quelque chose à Paris que de pouvoir, quand on le veut, ouvrir son salon et y rassembler l'élite de la société, qui y trouve une femme polie, imposante comme une reine, d'une naissance illustre, alliée aux plus grandes familles, spirituelle, instruite et belle. Il y a là un grand moyen de domination… Que veux-tu, pour moi, l'affaire actuelle, sentiment à part (l'insuccès me tuerait moralement) c'est tout ou rien, c'est quitte ou double… Le cœur, l'esprit, l'ambition ne veulent pas en moi autre chose que ce que je poursuis depuis seize ans ; si ce bonheur immense m'échappe, je n'ai plus besoin de rien. Il ne faut pas croire que j'aime le luxe. J'aime le luxe de la rue Fortunée avec tous ses accompagnements : une belle femme, bien née, dans l'aisance et avec les plus belles relations ". Ailleurs, il parle encore d'elle en ces termes : "Cette personne qui apporte avec elle (fortune à part) les plus grands avantages sociaux." On ne peut pas s'étonner après cela que dans Le Lys dans la Vallée, sa femme idéale par excellence, l'"ange", Mme de Mortsauf, écrivant à l'heure de la mort à l'homme, à l'enfant qu'elle aime, Félix de Vandenesse, une lettre dont le souvenir lui restera si sacré que bien des années après il en dira : "Voici l'adorable voix qui tout à coup retentit dans le silence de la nuit, voici la sublime figure qui se dressa pour me montrer le chemin", lui donnera les préceptes de l'art de parvenir. De parvenir honnêtement, chrétiennement. Car Balzac sait qu'il doit nous peindre une figure de sainte. Mains il ne peut imaginer que, même aux yeux d'une sainte, la réussite sociale ne soit pas le but suprême."
INVENTION 3 (exercice d'entraînement) : le dialogue initiatique
Vous actualiserez le dialogue entre Rastignac et Madame de Beauséant.
Les personnages, vecteurs d'un énoncé didactique sur le monde, ne sont pas forcément porte-paroles des valeurs du romancier, mais la progression du dialogue initiatique devrait induire ses modes de représentation, sa vision de l'homme et du monde ».
Tentateur ou initiateur ?
« -- Presque rien, répondit cet homme en laissant échapper un mouvement de joie semblable à la sourde expression d'un pêcheur qui sent un poisson au bout de sa ligne. Ecoutez-moi bien !" » Vautrin
« Le plus grand drame de ma vie est la mort de Lucien de Rubempré », Oscar Wilde
cf. Illusions perdues et Splendeurs et misères des courtisanes, Balzac
« Tempo è galant'uomo »
La "révolution" romantique : une esthétique "moderne" ?
Balzac et le Symbolisme
La Comédie humaine de Balzac, 1842-1848
Elle présente un tableau de la société française de 1789 à 1848
Balzac en 1842 sur un daguerréotype de Louis-Auguste Bisson
1829 – publication du premier roman qui entrera dans "La Comédie humaine" : Les Chouans ;
1834 – définition de la structure en trois parties de "La Comédie humaine" ;
1840 – choix du titre générique inspiré de La Divine Comédie de Dante ;
1842- 1848 – parution de "La Comédie humaine"
"Pour quelqu'un qui n'a jamais lu une ligne de Balzac, il n'y a pas à hésiter : il faut commencer par Le Père Goriot – et enchaîner sur Illusions perdues et Splendeurs et misères des courtisanes. Que ceux qui ont abordé Balzac autrement ne s'inquiètent pas. Avec Balzac, on s'y retrouve toujours. Seulement, avec Le Père Goriot, on s'y retrouve plus vite. Avec Le Père Goriot, d'entrée de jeu, nous sommes au cœur même de l'univers de Balzac, immédiatement confrontés avec quelques-uns de ses personnages capitaux, avec ses thèmes, ses obsessions, sa démarche."
Félicien Marceau de l'Académie française, préface du Père Goriot.
L'art du portrait dans la fantasmagorie balzacienne :
"Tu n'es pas un vil copiste, mais un poète !"Le Chef -d'oeuvre inconnu, Balzac (1831)
La physiognomonie : la détermination du caractère d'après les traits, la conformation du visage, l'apparence physique.
La détermination du personnage par le milieu où il vit : l'importance du cadre spatio-temporel (dans "La Comédie humaine", l'espace est "sécrétion humaine").
I – LIRE une page de « La Comédie humaine » : l'incipit de La Fille aux yeux d'or, Balzac (1835)
Une esthétique romantique ou réaliste ?
A Eugène Delacroix, peintre
I – Physionomies parisiennes
Un des spectacles où se rencontre le plus d'épouvantement est certes l'aspect général de la population parisienne, peuple horrible à voir, hâve, jaune, tanné. Paris n'est-il pas un vaste champ incessamment remué par une tempête d'intérêts sous laquelle tourbillonne une moisson d'hommes que la mort fauche plus souvent qu'ailleurs et qui renaissent toujours aussi serrés, dont les visages contournés, tordus, rendent par tous les pores l'esprit, les désirs, les poisons dont sont engrossés leurs cerveaux ; non pas des visages, mais bien des masques : masques de faiblesse, masques de force, masques de misère, masques de joie, masques d'hypocrisie ; tous exténués, tous empreints des signes ineffaçables d'une haletante avidité ? Que veulent-ils ? De l'or, ou du plaisir ?
Quelques observations sur l'âme de Paris peuvent expliquer les causes de sa physionomie cadavéreuse qui n'a que deux âges, ou la jeunesse, ou la caducité : jeunesse blafarde et sans couleur, caducité fardée qui veut paraître jeune. En voyant ce peuple exhumé, les étrangers qui ne sont pas tenus de réfléchir, éprouvent tout d'abord un mouvement de dégoût pour cette capitale, vaste atelier de jouissances, d'où bientôt eux-mêmes ils ne peuvent sortir, et restent à s'y déformer volontiers. Peu de mots suffiront pour justifier physiologiquement la teinte presque infernales des figures parisiennes, car ce n'est pas seulement par plaisanterie que Paris a été nommé un enfer. Tenez ce mot pour vrai. Là, tout fume, tout brûle, tout brille, tout bouillonne, tout flambe, s'évapore, s'éteint, se rallume, étincelle, pétille et se consume. Jamais vie en aucun pays ne fut plus ardente, ni plus cuisante. Cette nature socilae toujours en fusion semble se dire après chaque ouevre finie : -- A une autre ! Comme se le dit la nature elle-même. Comme la nature, cette nature sociale s'occupe d'insectes, de fleurs d'un jour, de bagatelles, d'éphémères, et jette aussi feu et flamme par son éternel cratère. Peut-être avant d'analyser les causes qui font une physionomie spéciale à chaque tribu de cette nation intelligente et mouvante, doit-on signaler la cause générale qui en décolore, blêmit, bleuit et brunit plus ou moins les individus.
A force de s'intéresser à tout, le Parisien finit par s'intéresser à rien.
Le fantastique réaliste ou "le réalisme truqué" de Balzac ?
Le roman et ses personnages : visions de l'homme et du monde
« Balzac est un visionnaire, mais un visionnaire passionné », Baudelaire
II – ECRIRE : A partir des incipits de romans du XIXème siècle, récrivez cette page à la manière de Stendhal, de Flaubert, de Maupassant, de Zola.
A votre tour, photographiez un coin de Paris pour commencer à mettre en place le décor du roman de formation collectif « générationnel » de la 2de 4 (thème : l'entrée du jeune poète lycéen "en littérature" dans sa ville : ses rencontres avec l'art et les artistes, la société de son temps )
Le cadre spatio-temporel dans le roman du XIXème siècle : la description est elle-même l'action.
Balzac est précurseur du roman réaliste par son sens de l'observation (ses « inventaires de commissaires priseurs »), l'importance qu'il donne au cadre spatio-temporel pour connaître la psychologie du personnage qui vient s'inscrire après coup dans le milieu qui l'a produit : l'espace devient « sécrétion humaine » dans le roman du XIXème siècle. L'engagement du romancier réaliste se manifeste par la mise à jour du déterminisme qui relie le personnage au milieu où il vit, ce qui fait de Balzac un précurseur du roman social, voire de la sociologie moderne.
Lire une description du cadre spatio-temporel : Le Père Goriot, Balzac (1835)
"Nul quartier de Paris n'est plus horrible, ni, disons-le, plus inconnu. La rue Neuve (Sainte-Geneviève surtout est comme un cadre de bronze, le seul qui convienne à ce récit, auquel on ne saurait trop préparer l'intelligence par des couleurs brunes, par des idées graves ; ainsi que, de marche en marche, le jour diminue et le chant du conducteur se creuse, alors que le voyageur descend aux Catacombes. Comparaison vraie ! Qui décidera ce qui est le plus horrible à voir, ou des coeurs desséchés, ou des crânes vides ? "
Lire un portrait : le portrait de Madame Vauquer, Le Père Goriot, Balzac (1835)
Madame Vauquer , Le Père Goriot de Balzac
Gravure de Daumier (illustration de La Comédie humaine, édition Fume, 1845)
La dramatisation de la description et le registre ironique :
« Bientôt la veuve se montre » ;
« cette pièce est dans tout son lustre »;
« Quand elle est là, ce spectacle est complet »
La physiognomonie : « Sa face vieillotte, grassouillette, du milieu de laquelle sort un nez à bec de perroquet, ses petites mains potelées, sa personne dodue comme un rat d'église, son corsage trop plein et qui flotte, sont en harmonie avec cette salle où suinte le malheur, où s'est blottie la spéculation, et dont madame Vauquer respire l'air chaudement fétide sans en être écoeurée. »
L'interaction entre le personnage et son cadre de vie : « enfin toute sa personne explique la pension, comme la pension implique sa personne. » (chiasme) ; « « Son jupon de laine tricotée, qui dépasse sa première jupe faite avec une vieille robe, et dont la ouate s'échappe par les fentes de l'étoffe lézardée, résume le salon, la salle à manger, le jardinet, annonce la cuisine et fait pressentir les pensionnaires. Quand elle est là, ce spectacle est complet. » (métonymie)
La distorsion fantastique du réel : des jeux d'échos fantastiques et ironiques (des « pantoufles grimacées » à « l'amer renfrognement de l'escompteur »)
« J’aime les êtres exceptionnels, j’en suis un. Il m’en faut d’ailleurs pour faire ressortir mes êtres vulgaires et je ne les sacrifie jamais sans nécessité. Mais ces êtres vulgaires m’intéressent plus qu’ils ne vous intéresse. Je les grandis, je les idéalise, en sens inverse, dans leur laideur ou leur bêtise. Je donne à leurs difformités des proportions effrayantes ou grotesques.» Lettre de Balzac à George Sand
Le point de vue omniscient : le narrateur, présence diffuse, (dieu ou démiurge ?) est présent partout et nulle part (entre focalisation externe/interne et focalisation zéro). Au départ, le regard semble objectif (points de vues externes et internes distincts), puis le narrateur se confond avec l'auteur dans une vue d'ensemble de l'espace et du temps de l'action romanesque, excédant de beaucoup celle qu'en ont les divers personnages de Balzac, romancier « omniscient » qui dirige le lecteur et impose « sa vision ».
« Balzac est un visionnaire, mais un visionnaire passionné », Baudelaire
L'esthétique de "La Comédie humaine" : une esthétique romantique et réaliste
Le Romantisme : le fantastique, une sensibilité romanesque, le point de vue omniscient (présence de la voix narrative, expression des émotions et des sentiments, éloges et blâmes directs : « une odeur sans nom », « la logique des gens à tête vide », les « esprit lilliputiens » => cf. l'expression des états d'âme et le lyrisme autobiographiques, les jugements appréciatifs, la récurrence des expressions péjoratives ou laudatives de Balzac, son manichéisme).
La révolution romantique : une esthétique moderne du bizarre et du difforme, du "démonisme" de Goethe ou du démoniaque qui annonce "la double postulation baudelairienne" dans Les Fleurs du mal, le mélange des registres => cf. l'engagement de l'artiste : Victor Hugo, 1830, « La Bataille d'Hernani »; la préface de Cromwell, 1827; « Réponse à un acte d'accusation » ; « Fonction du poète ».
"Fair is foul and foul is fair"
Macbeth, Shakespeare cité par Victor Hugo dans la préface de Cromwell, 1827
Le Réalisme : l'observation (les descriptions minutieuses : le cadre spatio-temporel, les personnages à la fois types et individus), le déterminisme social, une esthétique qui se veut objective en prenant ses distances avec l'idéalisation romanesque des siècles précédents (Balzac aurait inauguré « le roman où l'on mange »).
Sujet de dissertation n°16 : " Un roman réaliste est un roman qui fait vivre devant nous dans un cadre minutieusement décrit – dont ils sont au reste inséparables – des personnages qui sont à la fois des types et des individus."
Vous commenterez ce jugement en vous appuyant sur des exemples précis empruntés aux romans réalistes que vous avez étudiés et sur les textes du corpus.
Dans le roman réaliste du XIXème siècle, le portrait des personnages s'inscrit dans le cadre d'une description du cadre de vie qui précède souvent leur entrée en scène (la description de Verrières dans Le Rouge et le Noir de Stendhal, celle de la pension Vauquer dans Le Père Goriot de Balzac ou du passage du Pont-Neuf dans Thérèse Raquin de Zola). La "captatio benevolontiae" de l'incipit se présente de façon plus variée : la description du cadre spatio-temporel, une scène (l'arrivée du nouveau et le chahut de la salle d'étude dans Madame Bovary de Flaubert), un portrait en action (Bel-Ami de Maupassant). Le héros est rarement décrit de manière statique (cf. Le premier portrait de Rastignac) : Zola met en scène l'arrivée d'Etienne Lantier aux mines de Montsou dans Germinal ou celle de Denise et de ses frères dans Au Bonheur des Dames.
La rhétorique classique distinguait la description qui a pour objet la figure, le corps, les traits, les qualités physiques ou seulement l'extérieur, le maintien, le mouvement d'un être animé, réel ou fictif (la prosographie), de la description qui a pour objet les moeurs, le caractère, les vices, les vertus, les talents, les défauts, enfin les bonnes ou les mauvaises qualités morales d'un personnage réel ou fictif. Elle opposait le portrait au caractère à partir du nombre d'individus porteurs des traits : si l'objet de la description était un individu, il était question de portrait, si elle tendait à la généralisation, de caractère.
A partir du XVIIIème siècle : le théâtre "de caractère" devient théâtre "de situation" (Diderot, Le Paradoxe sur le comédien).
Au XIXème siècle, le roman réaliste distingue "le type" à"l'individu".
Sujet de dissertation n°16. " Un roman réaliste est un roman qui fait vivre devant nous dans un cadre minutieusement décrit – dont ils sont au reste inséparables – des personnages qui sont à la fois des types et des individus."
Vous commenterez ce jugement en vous appuyant sur des exemples précis empruntés aux romans réalistes que vous avez étudiés et sur les textes du corpus.
cf. L'éloge et/ou le blâme (l'allégorie, la caricature, la satire : sublimation, idéalisation ou dégradation)
=> la galerie de portraits de "La Comédie humaine".
Le personnage est non seulement indissociable du milieu où il vit, mais il ne peut se concevoir sans une dynamique qui le fait entrer en relation avec les autres protagonistes (à l'intérieur du récit, un personnage de roman se définit par ce qu'il fait, de la même façon qu'un personnage de théâtre s'inscrit dans l'action dramatique). Force agissante ou élément passif, mû par ses désirs et des ambitions, capable d'actions ou enlisé dans l'inertie, il se situe nécessairement dans un schéma actantiel de la narration : dans L'Assommoir de Zola, le sujet qui accomplit l'action est Gervaise, l'objet de sa quête : le bonheur dans sa vie familiale et professionnelle, le destinataire : elle-même et ses enfants, l'adjuvant : Coupeau (avant son accident), les opposants : Lantier, l'alambic.
Le roman de formation (ou d'apprentissage) : un parcours initiatique.
Dans le roman médiéval, le lecteur comme le héros passe très rapidement du connu à l'inconnu, ce qui le déstabilise et l'invite à s'interroger ( (sujets n° 15, 17, 18, 21, 23). Il quitte le château, lieu de la familiarité, pour pénétrer dans la forêt qui représente l'univers de "la merveille".
Dans le roman balzacien, Rastignac quitte aussi la protection du château familial. Il se transforme au cours du récit à rebondissements. Mais, l'orientation de sa quête dans le roman de formation de Balzac se situe aux antipodes de la quête courtoise : in fine, ce n'est pas pour défendre et protéger "sa dame" , mériter son amour, qu'il met en oeuvre les ressources de son intelligence et de sa sensibilité, mais pour entrer dans la "jungle sociale" de "La Comédie humaine" et conquérir la capitale (l'argent et le pouvoir) :
"Rastignac, resté seul, fit quelques pas vers le haut du cimetière et vit Paris tortueusement couché le long des deux rives de la Seine, où commençaient à briller les lumières. Ses yeux s'attachèrent presque avidement entre la colonne de la place Vendôme et le dôme des Invalides, là où vivait ce beau monde dans lequel il avait voulu pénétrer. Il lança sur cette ruche bourdonnant un regard qui semblait par avance en pomper le miel, et dit ces mots grandioses : -- A nous deux maintenant !"
Le point de vue omniscient :
dans le roman médiéval, l'ironie marque souvent une distance amusée du narrateur vis à vis de ses personnages , d'où des pointes d'humour qui jalonnent le texte. Le narrateur se met parfois brusquement sur le devant de la scène. Son discours peut se faire moralisateur.
Dans le roman balzacien, le narrateur, présence diffuse, (dieu ou démiurge ?) est présent partout et nulle part (entre focalisation externe/interne et focalisation zéro). Au départ, le regard semble objectif (points de vues externes et internes distincts), puis le narrateur se confond avec l'auteur dans une vue d'ensemble de l'espace et du temps de l'action romanesque, excédant de beaucoup celle qu'en ont les divers personnages. Balzac, romancier « omniscient », dirige le lecteur et impose « sa vision ».
"Balzac est un visionnaire, mais un visionnaire passionné", Baudelaire
ARS : signifie à la fois savoir et savoir faire
PORTRAIRE : dessiner (1175 : portret, pourtrait)
PEINDRE : (1080) - lat pingere – 1. couvrir, colorer avec de la peinture => représenter, reproduire par la peinture (par le discours)
L'AUTOPORTRAIT : « Le sot projet qu'a eu Montaigne de se peindre », Pensées, Pascal (XVIIème siècle)
« Le charmant projet qu'a eu Montaigne de se peindre naïvement comme il l'a fait, car il a peint la nature humaine», Voltaire, Lettres philosophiques, 1734
"Quand je vous parle de moi, je vous parle de vous", Victor Hugo
LE PITTORESQUE : qui est digne d'être peint (1708 – it. Pittoresco, de pittore : peindre)
LA PHYSIOGNOMONIE : détermination du caractère d'une personne d'après les traits et la conformation de son visage, son apparence physique. La physiognomonie (du grec ancien physiko, le corps, et gnomos, la connaissance) connut son essor au XIXe siècle ; aujourd'hui elle n'a plus aucune autorité scientifique.
Le Réalisme fantastique ou le fantastique moderne de Balzac : le "réalisme truqué"
distorsion, transfiguration, exploration, stylisation du réel
Les jeux de correspondances et d'échos fantastiques :
« Les mots s'allument de reflets réciproques », Mallarmé
LE "DE-LYRE" réaliste
Les précurseurs du réalisme appartiennent à la génération romantique de 1830. En rupture avec l'idéalisation des siècles précédents, ils manifestent les premiers la volonté de peindre de manière exhaustive (Balzac) et minutieuse (Stendhal) le réel dans ses composantes psychologiques, sociales et historiques. Ils se sont attachés à observer les moeurs et à donner l'illusion du réel en inscrivant l'action dans la réalité. Les lieux décrits deviennt des représentations exactes de la réalité.
Stendhal, Le Rouge et le Noir, "Chronique de 1830"
Balzac, La Comédie humaine
Zola, L'Histoire naturelle et sociale d'une famille sous le Second Empire (la série des Rougon-Macquart)
L'observation :
Avec Flaubert et les réalistes de 1850, ce courant principalement romanesque précise ses objectifs : prendre ses distances avec l'idéalisation romantique, "peindre le dessus et le dessous des choses", déclare Flaubert, "faire beau" grâce au "faire vrai". Cette ambition s'accompagne d'une traque documentaire des "détails" révélateurs de la nature des choses comme de celle des individus dans leur interaction avec le milieu social.
Le romancier réaliste rivalise avec la peinture, l'histoire et les sciences (les sciences exactes et les sciences de l'homme naissantes, la sociologie et la psychologie).
Il cherche à reproduire la réalité du quotidien (Balzac aurait inauguré « le roman où l'on mange »), à explorer tous les milieux sociaux (le peuple comme la bourgeoisie), à prendre en compte les explications scientifiques des comportements humains.
Il développe son sens de l'observation ("les inventaires de commissaire-priseur", les minutieuses descriptions de Balzac : "la description est elle-même l'action") et décrit avec précision le cadre spatio-temporel dont les personnages sont indissociables (l'espace devient "sécrétion humaine"): "enfin toute sa personne implique la pension comme la pension explique sa personne", Balzac, Le Père Goriot)
Les "effets de réel" (ou l'"illusion référentielle") : l'esthétique se veut objective.
La caractérisation du personnage commence par son nom ou son prénom. Ses autres caractéristiques sont principalement physiques, psychologiques ou morales. Toutes ont pour but de lui prêter une existence autonome et de lui donner vie et consistance dans l'imagination du lecteur.
L'enquête sociale : le personnage est surtout caractérisé historiquement et socialement par une condition et/ou des convictions et par sa "voix", c'est-à-dire par le style de son langage, quelle que soit la façon dont ses paroles sont rapportées (discours direct, indirect ou indirect libre comme souvent chez Flaubert et Zola). Dans Le Père Goriot de Balzac, Rastignac est "fils d'une famille noble", Julien Sorel, dans Le Rouge et le Noir de Stendhal, est "fils de bûcheron" et admirateur de Napoléon.
=> sujet de dissertation n°16 : " Un roman réaliste est un roman qui fait vivre devant nous dans un cadre minutieusement décrit – dont ils sont au reste inséparables – des personnages qui sont à la fois des types et des individus."
Pour renforcer ces effets, le romancier a souvent recours à la focalisation interne et au discours indirect libre. Il use (et abuse parfois) d'un vocabulaire technique, du détail vrai.
Les portraits de Mme Vauquer (Le Père Goriot, Balzac), de Catherine Leroux (Madame Bovary, Flaubert), de Jeanne (Une Vie, Maupassant).
Le cadre spatio-temporel : le portrait des personnages s'inscrit dans le cadre d'une description du cadre de vie qui précède souvent son entrée en scène (la description de Verrières dans Le Rouge et le Noir de Stendhal, celle de la pension Vauquer dans Le Père Goriot de Balzac ou du passage du Pont-Neuf dans Thérèse Raquin de Zola). La "captatio benevolontiae" de l'incipit se présente de façon plus variée : la description du cadre spatio-temporel, une scène (l'arrivée du nouveau et le chahut de la salle d'étude dans Madame Bovary de Flaubert), un portrait en action (Bel-Ami de Maupassant). Le héros est rarement décrit de manière statique (cf. Le premier portrait de Rastignac) : Zola met en scène l'arrivée d'Etienne Lantier aux mines de Montsou dans Germinal ou celle de Denise et de ses frères dans Au Bonheur des Dames.
Le schéma actantiel : le personnage est non seulement indissociable du milieu où il vit, mais il ne peut se concevoir sans une dynamique qui le fait entrer en relation avec les autres protagonistes (à l'intérieur du récit, un personnage de roman se définit par ce qu'il fait, de la même façon qu'un personnage de théâtre s'inscrit dans l'action dramatique). Force agissante ou élément passif, mû par ses désirs et des ambitions, capable d'actions ou enlisé dans l'inertie, il se situe nécessairement dans un schéma actantiel de la narration : dans Le Père Goriot de Balzac, le sujet qui accomplit l'action est Rastignac, l'objet de sa quête : la réussite sociale, le destinataire : son ambition, l'adjuvant : Madame de Beauséant, l'opposant : la pauvreté ("le cadre de bronze" de la pension Vauquer).
Le roman de formation (ou d'apprentissage) : un parcours initiatique.
Comme dans le roman médiéval, le héros du roman réaliste passe très rapidement du connu à l'inconnu, ce qui le déstabilise et l'invite à s'interroger ( (sujets n° 15, 17, 18, 21, 23).
* le chevalier du roman médiéval quitte le château, lieu de la familiarité, pour pénétrer dans la forêt qui représente l'univers de "la merveille".
Dans le roman balzacien, Rastignac quitte aussi la protection du château familial. Il se transforme au cours du récit à rebondissements. Mais, l'orientation de sa quête, dans le roman de formation de Balzac, se situe aux antipodes de la quête courtoise : l'errance, l'abandon à l'aventure telle qu'elle advient ne finit pas par modifier en profondeur sa relation aux autres personnages, son rapport au monde, bien au contraire. Le personnage, perd très vite ses illusions et son innocence, pour ne plus penser qu'à sa réussite sociale. Ce n'est pas pour défendre et protéger "sa dame", mériter son amour, qu'il entre dans la "jungle sociale" de "La Comédie humaine". Sa seule ambition est de conquérir la capitale (l'argent et le pouvoir) et il servira de Madame de Nucingen comme d'une "enseigne", suivant les conseils de Madame de Beauséant, son initiatrice :
"Rastignac, resté seul, fit quelques pas vers le haut du cimetière et vit Paris tortueusement couché le long des deux rives de la Seine, où commencçaient à briller les lumières. Ses yeux s'attachèrent presque avidement entre la colonne de la place Vendôme et le dôme des Invalides, là où vivait ce beau monde dans lequel il avait voulu pénétrer. Il lança sur cette ruche bourdonnant un regard qui semblait par avance en pomper le miel, et dit ces mots grandioses : -- A nous deux maintenant !
Et pour premier acte du défi qu'il portait à la Société, Rastignac alla dîner chez madame de Nucingen."
Le roman social : l'engagement des romanciers réalistes s'exprime par la mise à jour des mécanismes sociaux qui emprisonnent l'individu et entravent son évolution. Il se traduit par un certain pessimisme (chez Flaubert, Maupassant : "La vie, voyez-vous, ça n'est jamais si bon ni si mauvais qu'on croit", Une Vie). Le déterminisme, la fatalité sociale deviennent des thèmes récurrents (d'où l'image de la prison : le "cadre de bronze" de la pension Vauquer, les références aux cercles de l'enfer de La Divine Comédie de Dante dans La Comédie humaine, particulièrement dans l'incipit de La Fille aux yeux d'or ; l'ennui d'Emma ; La Parure de Maupassant ; l'hérédité et l'alcoolisme, la dégénérescence, principales causes de la dégradation des héros dans le roman naturaliste de Zola). Balzac use du point de vue omniscient pour exprimer le blâme; la concision et l'impassibilité de Flaubert favorisent une dénonciation d'autant plus efficace qu'elle est contenue (effets juxtaposition et de parataxe : "ainsi se tenait devant ces bourgeois épanouis, ce demi-siècle de servitude").
Déterminé par ses origines et conditionné par son cadre de vie, le personnage de roman réaliste s'étoffe et se complexifie. S'il est impossible de l'admirer, il est difficile aussi de le condamner suivant les critères d'une lecture manichéenne : ni tout à fait bon ni tout à fait mauvais, il n'incarne plus les valeurs du héros traditionnel du roman d'aventure ou de chevalerie des siècles précédents. Julien Sorel, Lucien Leuwen, Rastignac, Lucien de Rubempré, Madame Bovary, Bel-Ami ne sont pas des héros exemplaires mais leur erreurs peuvent servir d'exemples à ne pas suivre : dans ce sens, ils peuvent favoriser l'apprentissage du lecteur.
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