"En toute chose il faut considérer la fin"...

La fin du Père Goriot de Balzac (1835)

La mort du père : romantisme ou réalisme de Balzac ?

Une mort pathétique ou une mort tragique ?

Qui est le héros de ce roman d'apprentissage ?


  1. Une fin d'un roman réaliste ?

    la mort du personnage éponyme ; un enterrement misérable ("MIMESIS")

Quid ? Quis? Quando? Ubi? Quomodo ?


    1. L'esthétique réaliste : Balzac n'épargne au lecteur aucune précision déplaisante (effets de "réel"), jusqu'aux "quelques pelletées de terre jetées sur la bière pour la cacher".

La description objective, presque documentaire, semble l'emporter sur l'expression des sentiments.


        Le cadre spatio-temporel : "le cimetière"," " au Père-Lachaise" ; "A six heures" , "le soir tombait"

        Le champ lexical du funèbre : " le corbillard", "le convoi", ""le corps" (2x)

la "fosse", les "fossoyeurs", "la bière", "la tombe"

        Les précisions chiffrées : l'heure ("A six heures"); le pourboire donné aux fossoyeurs ("vingt sous"), le nombre des voitures et des fossoyeurs ("deux")

        La précision de la composition du "convoi" et des personnes présentes : le "convoi" ( Rastignac et Christophe, "les gens de ses filles", "deux voitures armoriées") , "le clergé" et "les deux fossoyeurs".

        L'importance de l'argent : le prix de l'enterrement payé par Rastignac qui explique la brièveté de la prière ("la courte prière pour I…I pour l'argent de l'étudiant" ; l'épisode de la recherche du pourboire (5/6 lignes)

        Et surtout, le personnage éponyme n'est plus qu'un "corps" (deux occurrences) : "le corps", "le corps du père Goriot" manipulé comme un objet ("fut placé", fut descendu").

        Le déterminisme de l'"accès d'horrible tristesse" de Rastignac provoqué par l'obligation d'avoir à chercher un pourboire et l'humiliation de n'avoir plus un sou en poche et de devoir emprunter au garçon de peine de la pension alors qu'il est tout à son chagrin et qu'il a dû faire déjà toutes les démarches pour payer et organiser l'enterrement : "Ce fait, si léger en lui-même, détermina chez Rastignac un accès d'horrible tristesse".


    1. Un enterrement lugubre et misérable :


    Un enterrement de pauvre : la rapidité de l'enterrement ("A six heures", "aussitôt que fut dite la courte prière I…I pour l'argent de l'étudiant") souligne le dénuement du défunt et la pauvreté de l'étudiant qui a dû payer les frais de cet enterrement à la place de sa famille, cette précision est renforcée par le fait que ce dernier n'a plus un sou pour payer le pourboire des fossoyeurs ("Eugène fouilla dans sa poche et n'y trouva rien"), il est même obligé d'emprunter de l'argent à Christophe, le garçon de peine de la pension Vauquer . De plus, le père Goriot est entrré dans une "fosse" et non dans un caveau de famille, ce qui contraste avec la présence des voitures armoriées, la précision du titre et de la particule du nom de ses deux gendres : le "comte de Restaud", le "baron de Nucingen".

    Une convoi lugubre : absence des membres de la famille, un étudiant, le garçon de peine de la pension Vauquer, "les gens" des filles du défunt, deux voitures "vides", absence des pensionnaires de pension Vauquer et de Mme Vauquer.

    Une atmosphère lugubre : le choix de l'heure de la journée (la fin du jour: "le soir tombait", l'"humide crépuscule"), de même que le temps humide et les nuages ajoutent au caractère déplaisant et sinistre de cette description.

    La tristesse de Rastignac : "un accès d'horrible tristesse", "sa dernière larme", "cette larme" , "une de ces larmes" ("larme", 3 x)Le temps et l'heure du jour (le "crépuscule") sont en harmonie avec les circonstances (le "crépuscule" de la vie d'un homme) et les sentiments du jeune homme ("un humide crépuscule agaçait les nerfs"), ce qui participe au réalisme de la scène : interaction entre les personnages et le cadre de vie. Ici, l'agacement et la tristesse du personnage sont présentés davantage comme l'expression d'une association de facteurs déterminés par de petits faits ("ce fait si léger en lui-même détermina chez Rastignac un accès d'horrible tristesse") et l'atmosphère humide du lieu et de l'heure ("un humide crépuscule agaçait les nerfs") que par les circonstances funèbres de cette fin de roman. Mais le lyrisme hyperbolique de la fin du paragraphe associe le lieu, l'heure et la nature aux sentiments supposés de chagrin (répétition du mot "larme", 3 x) et à l'"accès d'horrible tristesse" du personnage d'une façon toute romantique. Toutefois, dans cette fin de roman, ce n'est pas la nature qui se fait complice et consolatrice des sentiments humains, elle semble les déterminer plus que le décès du "bonhomme"… Le parti pris est plus réaliste (et cynique) que romantique en cette fin de roman, à la différence de l'incipit.


    1. La mort du personnage éponyme, abandonné de tous : est-elle pathétique ou tragique ?


        Une fin de vie misérable : l'abandon du père.

    Seuls l'étudiant et un garçon de peine accompagnent le défunt à sa dernière demeure. L'opposition "mais" insiste sur le caractère lugubre des voitures vides en fin de cortège et l'absence de celles auxquelles le "bonhomme" a sacrifié sa vie de même que sur le rôle dérisoire joué par le paraître, le luxe et l'argent jusqu'aux derniers instants d'une vie dans "la comédie humaine" que le roman donne à voir au lecteur. Paradoxalement, les voitures sont "armoriées mais vides", les filles du père Goriot sont respectivement comtesse et duchesse, mais c'est Rastignac, un jeune étudiant pauvre qui a payé les frais de l'enterrement et qui a assisté le vieillard jusqu'à ses derniers instants.

    L'expression des sentiments : tristesse, solitude du seul Rastignac, accentuée par le sentiment d'impuissance de ce dernier et le rappel de son propre dénuement au moment où on lui demande de payer le pourboire du "bonhomme". La "dernière larme" du jeune homme"arrachée par les saintes émotions d'un cœur pur" se mêle à la révolte provoquée à la fois par l'abandon du père Goriot et l'humiliation de n'avoir pas même de quoi payer le pourboire des fossoyeurs et de devoir emprunter à Christophe, un garçon de peine.

    L'échec du personnage éponyme dans sa quête :

Il est abandonné par les destinatrices de son sacrifice, réduit à l'impuissance dans ses derniers instants, incapable d'aider ses filles après leur avoir tout sacrifié. Il est condamné à mort depuis le départ, à une mort sociale progressive, à la misère et à la solitude, avant de succomber à la déception et au chagrin de voir ses filles malheureuses d'abord, puis de découvrir leur ingratitude et leur sécheresse de coeur.


Cette mort est-elle pathétique ou tragique ?

Même la voix narrative semble avoir abandonné le "bonhomme". Aucune présence du narrateur omniscient pour pleurer le sacrifice du "Christ de la paternité" en cette fin de roman. L'enterrement du personnage éponyme est bâclée en un paragraphe. Aucun romantisme ne vient relever cette marche funèbre, la mort du personnage principal de ce roman est davantage décrite selon une esthétique réaliste que romantique ou symbolique. C'est le personnage témoin, Rastignac qui fait figure de héros romantique en cette fin du premier paragraphe où le père Goriot n'est plus qu'un "corps" (2 x) et un "bonhomme". La description de l'enterrement du héros éponyme n'est pas magnifiée, bien au contraire. Elle est plus pathétique que tragique.



  1. La fin d'un roman d'apprentissage : un enterrement "édifiant" ( "CATHARSIS")


(Analyse de la fin du premier paragraphe et du deuxième paragraphe : principaux effets stylistiques (hyperboles, répétition, personnification, métaphore filée, apostrophe et défi au style direct, registre épique)


Quomodo ? Cur ? Quibus auxiliis ?

Passation de pouvoir entre le héros éponyme du roman réaliste et le personnage-témoin "des secrètes infortunes du père Goriot" . Rastignac est le jeune héros du roman d'apprentissage , le "héros" de l'aventure qui a permis au lecteur de suivre le fil conducteur de l'action lié à l'histoire du vieil homme jusqu'à sa mort. C'est à présent lui qui clôt le roman, le personnage relais de l'expression d'un savoir selon Philippe Hamon, le "médiateur d'un énoncé didactique sur le monde". En témoigne le choix du point de vue omniscient qui privilégie la mise en scène romantique qui grandit le personnage du haut du cimetière du Père-Lachaise dominant symboliquement la capitale alors que le vieillard est allongé dans sa fosse. Le "réalisme truqué" de Balzac permet de suivre la mort morale du jeune homme qui enterre avec le père Goriot ses dernières illusions : Rastignac, en cette fin de "roman bourgeois" passe du statut de héros romantique au cynisme du conquérant, à une conquête bien matérielle, celle-là. L'échec du père Goriot est un tremplin pour la réussite de l'ambitieux qui tire un enseignement de cette mort misérable (cf. Contre Sainte-Beuve, Proust).


  1. Un héros romantique (solitude, souffrance, grandeur : "vers le haut du cimetière"; symbolisme du lieu et de l'atmosphère en harmonie avec les sentiments du jeune homme; hyperboles romantiques "horrible tristesse"; "rejaillissent jusque dans les cieux; "ces mots grandioses")


( Contraste avec l'incipit ) le romantisme et le symbolisme à la fin du roman mettent l'éclairage sur le "jeune homme" (qui n'est même pas nommé dans l'incipit et non sur le "Christ de la paternité" dont la mort n'est pas sublimée et même pas pleurée). Rastignac est le jeune premier romantique de cette fin de roman qui le place symboliquement sur les hauteurs du cimetière du Père-Lachaise. Il est comme le chant du cygne de l'innocence (champ lexical du sentiment et de l'émotion : "larme" 3 x, associé à ceux de la pureté : "saintes émotions d'un cœur pur", et de la piété : "saintes", "cieux", de l'élévation morale. L'insistance attachée à cette "dernière larme" soulignée par la répétition et l'épithète "dernière" révèle que ce moment est décisif dans la formation du jeune homme. Cette ultime étape est une transition charnière entre tout ce qui existait avant la métamorphose du jeune héros (les élans du cœur, la conscience morale, l'élévation d'âme) et la mort morale et sentimentale du personnage qui ne sera plus qu'un des acteurs sans âme parmi d'autres de la "Comédie humaine". Il sera donné au lecteur de le rencontrer çà-et-là dans le "beau monde" parisien dans lequel il avait tant convoité de pénétrer, mais il n'en sera plus jamais le héros (cf Splendeurs et misères des courtisanes ). L'échec du père Goriot est devenu un tremplin pour la réussite de Rastignac, une réussite bien matérielle, celle-là. L'hyperbole de l'"horrible tristesse" est prolongée par l'expression des "saintes émotions" et l'image de la "dernière larme" si pure qu'aussitôt tombée à terre elle remonte au ciel : "une de ces larmes qui, de la terre où elles tombent, rejaillissent jusque dans les cieux". Cette vision quasi miraculeuse de la larme sanctifiée qui est trop sainte et trop pure pour toucher le sol, par la verticalité qu'elle évoque avec l'impossibilité d'établir un lien durable entre la terre et le ciel, semble indiquer qu'il n'est possible à personne de rester pur, à moins d'être un saint. Avec le père Goriot et cette dernière larme Rastignac a définitivement quitté le ciel ("les cieux") et enterré ce qui lui était resté de sensibilité et de conscience ainsi que l'illustre la métaphore du verbe ensevelir pris ici au sens figuré pour doubler par l'image de l'enterrement de la conscience celui du père Goriot dont il est question dans cette scène: "y ensevelit sa dernière larme". Ses regards se tournent vers la terre à présent : "il regarda la tombe " où il verse sa "dernière larme", il lève une dernière fois les yeux vers le ciel ("contempla les nuages"), avant de fondre tel un aigle sur sa proie, sur Paris et ses lumières qui l'appellent à ses pieds. Pour la dernière fois le héros se tient sur les hauteurs : la chute est imminente même si elle signifie aussi la réussite sociale.


  1. Un conquérant : l'apprentissage de la "comédie humaine" par Rastignac.

Analyse de la mise en scène des 2 paragraphes :

    contraste entre les "deux voitures armoriées, mais vides" et la pauvreté de l'enterrement

    contraste entre la solitude et la pauvreté du héros, l'atmosphère lugubre du cimetière et "cette ruche bourdonnant"

    L'importance de l'argent dans la société : tout a un prix (l'enterrement et la prière du clergé, le pourboire à donner aux fossoyeurs…)

    importance du cadre et du champ lexical du regard ("comédie humaine", importance de la mise en scène) : "contempla les nuages , "vit", "les lumières", "Ses yeux s'attachèrent presque avidement"; "un regard qui semblait par avance en pomper le miel".

    Les arrondissements de Paris situés "entre la colonne de la place Vendôme et le dôme des Invalides" représentent désormais les lieux de la quête de Rastignac, c'est là que réside le "beau monde", là où se trouvent le pouvoir et l'argent, le confort et le luxe de la vie facile, là que Rastignac "avait voulu pénétrer".

    La leçon tirée de l'observation et de l'expérience de Rastignac: l'argent compte plus dans la société, "la comédie humaine" que les sentiments humains, c'est pourquoi la conquête de Rastignac devient essentiellement matérielle, celle du pouvoir et de l'argent (cf. Fin de Bel-Ami de Maupassant)


L'abandon du père et son enterrement misérable, comme le caractère sordide de la pension Vauquer au début du roman agissent sur le héros comme un réactif. Le jeune homme tire la leçon de l'expérience après l'enseignement théorique de Mme de Beauséant et de Vautrin. Il sait que le monde est un "jeu de dupes et de fripons", il a assisté à la scène de dialogue avec ses filles qui a préparé l'agonie du père Goriot, et pour finir à l'ingratitude et à la monstruosité finale de "la comédie humaine" que soulignent les deux voitures vides. Il enterre donc sa dernière larme avec le "bonhomme", regarde une dernière fois le ciel ("contempla les nuages"), a vant de descendre vers "les lumières" de "la ruche bourdonnant pour faire sa véritable entrée dans le "beau monde" ("dans lequel il avait voulu pénétrer").


  1. Un ambitieux : le défi à la capitale ou l'arrivisme de Rastignac :


    La crise du sujet : nombreux effets stylistiques et descriptions précises des lieux avec une personnification de Paris alors que le "Christ de la paternité" est réduit à n'être plus qu'un "bonhomme" par le point de vue omniscient de la voix narrative ("Paris tortueusement couché le long des deux rives de la Seine"; l'apostrophe exclamative au style direct : "A nous deux maintenant !" ).

    L'avidité de Rastignac : seul subsiste le face à face avec la capitale dans ce défi qui gomme toute relation humaine ("A nous deux maintenant !"). Rastignac, du haut du cimetière du Père-Lachaise anticipe déjà sur cette conquête de la "ruche bourdonnant" avec la métaphore filée du "regard qui semblait par avance en pomper le miel". Même le "dîner chez madame de Nucingen" n'est plus présentée comme un épisode de sa vie amoureuse mais comme un "premier acte de défi" (cf Le Rouge et le Noir de Stendhal : la conquête de Mme de Rénal).

    L’apparition d'un nouveau type de héros dans les romans réalistes du XIXème siècle : les ambitieux, héritiers du "picaro" du XVIIIème siècle, opportunistes, arrivistes et cyniques qui manipulent les sentiments des autres pour gravir les échelons de la société. Les êtres humains, surtout ceux du sexe opposé ne sont plus que des moyens de parvenir socialement au confort bourgeois, qu'il s'agisse de celui très aristocratique du faubourg Saint-Germain ou du confort bourgeois à proprement parler, le résultat est le même. Rastignac, dans la chambre meublée arrangée pour lui par le père Goriot est dans l'antichambre de "ce beau monde" et il n'a plus qu'une idée, accéder à ce dernier, comme Delphine, sa maîtresse ne rêvait que du bal de Mme de Beauséant: en se faisant le complice de l'ambition de sa maîtresse qui a sacrifié à son snobisme son père à l'agonie, Rastignac a perdu son âme (d'où "sa dernière larme de jeune homme, cette larme arrachée par les saintes émotions d'un cœur pur, une de ces larmes qui, de la terre où elles tombent, rejaillissent dans les cieux").


Julien Sorel, dans Le Rouge et le Noir de Stendhal, Georges Duroy dans Bel-Ami de Maupassant, et Mme Bovary au féminin dans le roman de Flaubert trouveront dans le mariage ou les liaisons des moyens de parvenir socialement comme Rastignac utilise Mme de Nucingen (comme "une enseigne") pour suivre les conseils de Mme de Beauséant : "N'acceptez les hommes et les femmes que comme les chevaux de poste que vous laisserez crever à chaque relais" , en témoigne l'absence de romantisme du défi à la capitale qui exclut toute relation humaine et l'élan qui le porte chez Mme de Nucingen présenté non comme un acte d'amour mais "un premier acte de défi".


Balzac connaît bien le problème de l'obsession d'argent et de conquête sociale de son jeune héros, lui qui était toujours en quête de reconnaissance sur le plan mondain et matériel, aux prises avec de farouches créanciers parce qu'il avait presque toujours dépensé l'argent avancé pour ses livres par les éditeurs avant même d'avoir commencé à les écrire (cf. la vie romancée de Balzac de Stefan Zweig). Il connaît aussi le calcul qui permet d'associer le mariage aux avantages matériels et à l'ascension sociale puisqu'il aurait, selon son propre aveu rapporté par Proust dans son Contre Sainte-Beuve épousé son "étoile polaire" noble et riche, Mme Hanska (après 16 années d'attente parce que la dame était mariée et qu'il avait fallu attendre la mort du mari) par intérêt plus que par amour. C'est pourquoi Proust le trouve "vulgaire" :


"La vulgarité de ses sentiments est si grande que la vie n'a pu l'élever. Ce n'est pas seulement à l'âge où débute Rastignac qu'il a donné pour but à la vie la satisfaction des plus basses ambitions, ou, du moins, à de plus nobles buts a si bien mêlé celui-là, qu'il est presque impossible de les séparer. Un an avant sa mort, sur le point de toucher à la réalisation du grand amour de toute sa vie, à son mariage avec Mme Hanska qu'il aime depuis seize ans, il en parle à sa sœur en ces termes : "Va, Laure, c'est quelque chose à Paris que de pouvoir, quandon le veut, ouvrir son salon et y rassembler l'élite de la société, qui y trouve une femme polie, imposante comme une reine, d'une naissance illustre, alliée aux plus grandes familles, spirituelle, instruite et belle. Il y a là un grand moyen de domination… Que veux-tu, pour moi, l'affaire actuelle, sentiment à part (l'insuccès me tuerait moralement) c'est out ou rien, c'est quitte ou double… Le cœur, l'esprit, l'ambition ne veulent pas en moi autre chose que ce que je poursuis depuis seize ans ; si ce bonheur immense m'échappe, je n'ai plus besoin de rien. Il ne faut pas croire que j'aime le luxe. J'aime le luxe de la rue Fortunée avec tous ses accompagnements : une belle femme, bien née, dans l'aisance et avec les plus belles relations ". Ailleurs, il parle encore d'elle en ces termes : "Cette personne qui apporte avec elle (fortune à part) les plus grands avantages sociaux." On ne peut pas s'étonner après cela que dans Le Lys dans la Vallée, sa femme idéale par excellence, l'"ange", Mme de Mortsauf, écrivant à l'heure de la mort à l'homme, à l'enfant qu'elle aime, Félix de Vandenesse, une lettre dont le souvenir lui restera si sacré que bien des années après il en dira : "Voici l'adorable voix qui tout à coup retentit dans le silence de la nuit, voici la sublime figure qui se dressa pour me montrer le chemin", lui donnera les préceptes de l'art de parvenir. De parvenir honnêtement, chrétiennement. Car Balzac sait qu'il doit nous peindre une figure de sainte. Mains il ne peut imaginer que, même aux yeux d'une sainte, la réussite sociale ne soit pas le but suprême."


Comparer pour finir l'écart entre les enjeux de l'incipit et ceux de la fin du roman.