André Gide, l'insaisissable Protée



"Il ne faudrait pas avoir de tristesses personnelles, mais faire siennes celles des autres... de sorte qu'on en puisse changer."

Journal d'André Gide, 1893

Qui est Protée ?
Qu'est-ce qu'une écriture protéiforme ?

Le portrait d'Edouard par Laura :

"A vrai dire, je ne sais pas ce que je pense de lui. Il n'est jamais longtemps le même. Il ne s'attache à rien ; mais rien n'est plus attachant que sa fuite. Vous le connaissez depuis trop peu de temps pour le juger. Son être se défait et se refait sans cesse. On croit le saisir... c'est Protée. Il prend la forme de ce qu'il aime. Et lui-même, pour le comprendre, il faut l'aimer."

Une écriture déroutante, vertigineuse, protéiforme : les ellipses, l'art du détour, du biais, d'une fausse clarté qui déroute et égare : une présentation indirecte des faits des glissements d'un point de vue à l'autre, l'insertion dans le roman de sa propre critique, l'ironie qui cache l'essentiel sous l'accessoire. ; cf. Gide et l'art de la fugue.

Gide relativise les points de vue, de sorte que toute vérité semble impossible à saisir.

"L'impossible saisie de l'être par l'être tout entier", Paul Valéry
cf. le "Robinson moderne" des Histoires brisées de Paul Valéry = Paul-Ambroise (FM, chap. 4, 1èe partie)


[cf. la figure de Protée dans Le Mariage de Figaro, III, 5 et Essai sur l'art de ramper à l'usage des courtisans D'Holbach, ]
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Le roman et ses personnages : visions de l'homme et du monde (révisions pour les EAF)


« Un personnage de roman est simplifié et construit. On peut le comprendre. Dans la vie réelle, les êtres vivants sont des énigmes dangereuses. »écrit André Maurois (1885-1967).
Expliquez, commentez et discutez cette appréciation en vous fondant sur les textes du corpus et vos lectures.

La construction des personnages de romans : le schéma actantiel

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Problématique : Mais André Gide va-t-il aussi loin qu'il le prétend dans sa contestation par la mise en cause intérieure d'une société et de son langage ?
cf. "Le roman du roman ", mais aussi "le roman des romans"
Roger Martin du Gard redoute le contrôle de l'intelligence sur la sensibilité, il reproche à André Gide ses "exercices acrobatiques" : "Quel démon critique vous retient toujours à califourchon sur les vannes de l'écluse, et qui s'amuse à doser avec une science espiègle les échappements de l'eau ?" (Correspondance, 1921)
A la différence de son ami Roger Martin du Gard qui puise à la source du roman "fleuve" traditionnel (cf. "topique balzacien" du roman d'apprentissage réaliste), Gide veut déranger le lecteur dans ses habitudes, c'est pourquoi il travaille pendant six ans à l'élaboration d'un roman "agressif" et "difficile", à l'image du personnage d'Alfred Jarry mis en abyme dans la scène du banquet des Argonautes.
Alfred Jarry
"comme le "théâtre vivant", Les FM exige du public une participation active, un effort de découverte et même de reconstruction". Geneviève Idt, Profil d'une oeuvre
[x Objet d'étude : le théâtre / Ubu Roi d'Alfred Jarry mis en abyme dans la scène du banquet des Argonautes]
" Gide, dans le Journal des Faux-monnayeurs, définit ses intentions et le mode d'emploi de son roman : c'est un livre agressif, qui veut l'inconfort du lecteur, qui le dérange dans ses habitudes, c'est un livre difficile"
Non que le texte soit obscur [...] Le texte n'est difficile que parce qu'il se dérobe sous une apparence de gratuité, de facilité, de jeu. Son auteur lui souhaite des lecteurs patients [...] Seule une deuxième lecture ou une étude détaillée permet d'en comprendre l'intérêt. Comme les textes du "nouveau roman", comme certaines oeuvres de l'art cinématographique, comme le "théâtre vivant", Les FM exige du public une participation active, un effort de découverte et même de reconstruction [...].
Malgré ou à cause de son rythme rapide, Les FM ne captive pas comme les grands romans de la durée centrée autour de quelques personnalités vigoureuses* : c'est un récit éclaté, les fils de l'intrigue échappent. Les personnages éclairés de côté, déroutent; le ton change sans cesse, mais demeure ambigu, sans qu'on sache jamais si l'auteur se moque de ce qu'il écrit, sans qu'on puisse vraiment adhérer aux événements et aux personnages, toujours tenus à distance. Dans ces conditions, le texte intéresse plus qu'il ne touche, il incite à entrer dans un jeu intellectuel : il apparaît comme une construction démontable dont il est amusant de découvrir la mécanique."
Geneviève Idt, Profil d'une oeuvre
[cf. Illusions perdues de Balzac : le journaliste est un "acrobate"]



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Gide ou les limites du rationalisme : entre classicisme et déconstruction, entre le roman et l'essai
2 amis, 2 correspondances : Roger Martin du Gard et Paul Valéry

"Il n'y a que les sots et les huîtres qui adhèrent", Paul Valéry

"L'impossible saisie de l'être par l'être tout entier",

cf. le "Robinson moderne" des Histoires brisées de Paul Valéry = Paul-Ambroise (FM, chap. 4, 1ère partie)

(cf. Vertige de l'artiste entre Narcisse et Prométhée : les figures de Protée, dans Les FM et de Robinson dans Un nid pour quoi faire d'Olivier Cadiot)x Poésie et déchiffrement du monde : l'étude des fonctions du poète et de la poésie à partir des manifestes poétiques-autoportraits de poètes en vue de la construction du collectif de personnages du roman de poètes.
(cf. "Visages", Charles Juliet)


[x en perspective croisée avec l'argumentation : cf. les "demi-malins", les "esprits faux" et les esprit "géométriques" dans les Pensées de Pascal, cf. l'"indiscret stoïcien", La Fontaine et le portrait d'Arrias]
"Mais les esprits faux ne sont jamais ni fins ni géomètres", Pascal

"Penser, c'est nier ce qui est devant soi", Hegel

"On ne pense que par images, si tu veux être philosophe, écris des romans", Albert Camus

Rembrandt, Le philosophe en médiation, 1632

"La vérité d'un homme, c'est d'abord ce qu'il cache", André Malraux


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Sujets de dissertations de niveau 1ère sur les personnages de romans :

Dans son essai sur Les Personnages, Sylvie Germain, romancière contemporaine, écrit :

« Tous les personnages sont des dormeurs clandestins nourris de nos rêves et de nos pensées. »
Cette conception du personnage vous paraît-elle partagée par les romanciers que vous connaissez ? Vous appuierez votre réponse sur les textes du corpus et les oeuvres romanesques que vous avez lues.

2. Commentez ce point de vue du philosophe Alain :
"Le thème de tout roman, c'est le conflit d'un personnage romanesque avec des choses et des hommes qu'il découvre en perspective à mesure qu'il avance, qu'il connaît d'abord mal, et qu'il ne comprend jamais tout à fait." (Système des Beaux-Arts, 1920).Vous prendrez pour exemples les textes du corpus ainsi que les oeuvres romanesques que vous avez lues et étudiées.

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Le Temps retrouvé de Marcel Proust

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à suivre...

La maladie du Robinson moderne : l'idée fixe, l'égotisme et le solipsisme, des Histoires brisées de Paul Valéry à Un nid pour quoi faire d'Olivier Cadiot

Robinson.

Solitude.

Création du loisir. Conservation.

Temps vide. Ornement.

Danger de perdre tête? de perdre tout langage.

Lutte. Tragédie. Mémoire. Prière de Robinson.

Image des foules, des théâtres, des rues.

Tentation. Soif du pont de Londres.

Il veut écrire à des personnes imaginées, embrasse des arbres, parle tout seul. Crises de rire. Peu à peu n'est plus soi.
"Robinson", Paul Valéry, Histoires brisées (poèmes en prose)
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cf. Le Locataire chimérique, Roland Topor
cf. Pascal : "Tous les malheurs de l'humanité viennent de la difficulté de l'homme à rester seul dans une chambre", Pensées
"Quand on est seul on s'appartient tout entier", Léonard de Vinci
H2 dans Pour un oui ou pour un non de Nathalie Sarraute : le "poète"
Quelqu'un comme vous, Fabrice Roger-Lacan

"Je rêve à l'orgueilleuse solitude" , le "Robinson de l'étude" dans le roman de Jules Vallès, Jacques Vingtras,

"Il est nuit. Je m’en aperçois tout d’un coup. Combien y a-t-il de temps que je suis dans ce livre ? Quelle heure est-il ? Je ne sais pas, mais voyons si je puis lire encore ! Je frotte mes yeux, je tends mon regard, les lettres s’effacent, les lignes se mêlent, je saisis encore le coin d’un mot, puis plus rien.
J’ai le cou brisé, la nuque qui me fait mal, la poitrine creuse ; je suis resté penché sur les chapitres sans lever la tête, sans entendre rien, dévoré par la curiosité, collé aux flancs de Robinson, pris d’une émotion immense, remué jusqu’au fond de la cervelle et jusqu’au fond du cœur ; et en ce moment où la lune montre là-bas un bout de corne, je fais passer dans le ciel tous les oiseaux de l’île, et je vois se profiler la tête longue d’un peuplier comme le mât du navire de Crusoé ! Je peuple l’espace vide de mes pensées, tout comme il peuplait l’horizon de ses craintes ; debout contre cette fenêtre, je rêve à l’éternelle solitude et je me demande où je ferai pousser du pain…La faim me vient : j’ai très faim. Vais-je être réduit à manger ces rats que j’entends dans la cale de l’étude ?" Jacques Vingtras de Jules Vallès