Le roman gidien : entre tradition et modernité

La construction du roman est très complexe et loin de la narration linéaire classique. Les différentes histoires s'enchevêtrent les unes dans les autres. Les points de vue sont multiples et variables, le narrateur lui-même change régulièrement. Les genres narratifs sont, par ailleurs, multiples : journal intime, lettre... Il arrive même que l'auteur s'adresse directement au lecteur. La narration est ainsi fondée sur une ambiguïté constante.
A travers cette oeuvre, le romancier montre les limites du roman traditionnel et son échec dans sa prétention à décrire la complexité du monde pour faire du roman une oeuvre d'art créative à part entière
plutôt que le simple réceptacle d'une histoire racontée.

Rappel du cours d'introduction à l'étude des 5 extraits des Faux-Monnayeurs :
Vous pouvez, par exemple, organiser vos axes de commentaire à partir de ce canevas :
I - Les Faux-Monnayeurs, un roman réaliste ?
II – Une parodie des conventions romanesques (prémisses du "nouveau roman" ?)
Question : Cet extrait pourrait-il trouver sa place dans le cadre d'un roman réaliste ?
Le roman gidien, entre tradition et modernité
"Le style, c'est l'homme-même" : une écriture protéiforme ou l'art de la fugue

André Gide a conçu Les Faux-Monnayeurs suivant des modèles géométriques : l'entrelacement d'intrigues simultanées, la symétrie, l'ellipse avec double foyer (pôles de sympathie et/ou de sympathie), la mise en abyme, la multiplication de points de vue...


Ces procédés provoquent chez le lecteur une impression de foisonnement, d'omniscience, mais aussi de vertige, de scepticisme et de confusion.

Contrairement à l'esthétique du roman réaliste, le culte de la fragmentation et le refus de la durée, la manie du retour en arrière qui brise la continuité du récit, relèvent de la composition musicale ainsi que le soulignent André Gide qui évoque dans le Journal des Faux-Monnayeurs César Franck et ses imbrications de "motifs d'andante et d'allegro" et le personnage d'Edouard reflet du romancier mis en abyme dans le roman qui se réfère à L'Art de la fugue de Bach pour composer son propre roman.

"Chaque soir je me replonge, une demi-heure durant, dans le Kunst der Fugue. Rien de ce que j'en ai dit l'autre jour ne me paraît plus bien exact. Non, l'on ne sent plus là, souvent, ni sérénité ni beauté ; mais tourment d'esprit et volonté de plier des fomes, rigides comme des lois, et inhumainement inflexibles. C'est le triomphe de l'esprit sur le chiffre ; et, avant le triomphe, la lutte. Et, tout en se soumettant à la contrainte, tout ce qui se peut encore, à travers elle, en dépit d'elle, ou grâce à elle, de jeu, d'émotion, de tendresse, et, somme toute, d'harmonie", Journal d'André Gide, 7 décembre 1921.

cf. L'art de la fugue dans Les Faux-Monnayeurs d'André Gide : une écriture protéiforme avec suites et variations, de l'incipit à l'excipit (avec une fin ouverte qui boucle et déboucle à la fois...).

"C'est la contradiction qui donne la vie en littérature", Balzac
Les amis de Gide lui ont souvent reproché les contradictions de sa personnalité :
"Permettez-moi de vous dire, sans grossièreté, que vous êtes comme la lune... De quelque façon qu'on s'y prenne, on 'en voit jamais qu'un morceau, et le plus que l'on puisse embrasser d'un même coup d'oeil n'est jamais que la moitié de Gide, dont les deux pôles ne se trouvent jamais éclairés en même temps." Correspondance, Gide-Roger Martin du Gard
"C'est en écartelé que j'ai vécu", André Gide

"Pour lui le roman n'était pas la réflexion d'un miroir promené le long du chemin, mais la projection de ses propres virtualités dans un éventail de personnages qui les incarneraient."
Jean Delay, Introduction à la Correspondance André Gide - Roger Martin du Gard, 1968

"Les Faux-Monnayeurs étaient encore un livre de moraliste, mais c'était d'abord, plus visiblement, une oeuvre qui frappait par la technique formelle. Cette technique rebuta à l'époque, mais on voit mieux, un demi-siècle plus tard, toute l'intelligence de cette tentative de Gide qui, entre Proust et le roman américain des années 30, constitue un pas décisif vers l'anti-roman (comme dira Sartre)..."
Pierre-Olivier Walzer, Littérature française du XXème siècle, I, 1896-1929 (1975)

"Les Faux-Monnayeurs représentent un des premiers efforts pour dépasser la structure traditionnelle du roman, non pas seulement par une rupture de l'intrigue horizontale (on sait que Gide a voulu couper sa tranche non en longueur mais en largeur) mais surtout par une nouvelle conception du rôle des personnages. Aucun des acteurs des Faux-Monnayeurs n'a de "signification" en dehors de sa "valeur" c'est-à-dire que le "sens" de chacun dépend uniquement de ses rapports avec tous les autres : sorti du réseau de relations dont il est une partie intégrale, le personnage perd de sa raison d'être."
Elaine D. Cancalon, "La Structure de l'épreuve dans Les Faux-Monnayeurs", Cahiers André Gide n°5, Lettres Modernes, 1975



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 Descriptif des EAF 2011 

Rappel des enjeux : la séquence a été centrée sur l'histoire du roman et son évolution : l'aventure romanesque, du roman picaresque au roman d'apprentissage, du réalisme et de l'illusion romanesque au Nouveau Roman. La lecture des Faux-Monnayeurs d'André Gide (dans le prolongement du cours de 2de sur le roman réaliste) permet de s'interroger sur les techniques de la narration : roman et journal intime (en perspective croisée avec l'étude de l'argumentation) et d'étudier la parodie des conventions romanesques : Les Faux-Monnayeurs d'André Gide, un roman, un anti-roman ou les prémisses du « Nouveau Roman » ?


LE ROMAN ET SES PERSONNAGES : visions de l'homme et du monde
Perspective dominante : l'étude des genres et des registres
Perspectives complémentaires : l'histoire littéraire et culturelle ; intertextualité et sungularité des textes.
Lecture intégrale : lecture analytique de 5 extraits des Faux-Monnayeurs d'André Gide (1925)
(les numéros des pages indiqués correspondent à l'édition Folio)
  1. L'incipit : du début à "du jardin du Luxembourg (Première partie, chapitre I, pp. 11-12)
  2. La rentrée : du début du chapitre IV à "que de tristes souvenirs" (3ème partie, chapitre IV, pp. 247-249)
  3. Le banquet des Argonautes : de "C'est Alfred Jarry" à "quelque excentricité." (3ème partie, chapitre 8, pp. 286-288)
  4. Le dialogue de Bernard avec Edouard : de "-- Vivre sans but" à "pourvu que ce soit en montant." (pp.338-340)
  5. La fin du roman : Journal d'Edouard du début à « Nous n'avons pas d'oreilles pour écouter la voix de Dieu » (pp. 376-377)
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Groupement de textes complémentaires :
Texte 1 : Marguerite Duras, Moderato Cantabile, 1958 (incipit)
Texte 2 : Nathalie Sarraute, Le Planetarium, 1959 (incipit)
Texte 3 : Marguerite Duras, Le Ravissement de Lol V.Stein, 1964 (incipit)
Texte 4 : Georges Perec, Les Choses, 1965 (incipit)